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Mt 22, 34-40

 

« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Cette question d'un pharisien, docteur de la Loi, intervient après que Jésus a « fermé la bouche aux Sadducéens », les a convaincus d'erreur sur leur négation de la résurrection des morts (Mt 22, 23-33). Au-delà de la trop évidente mise à l'épreuve qu'elle constitue – un spécialiste de la Loi pouvait-il ignorer le grand commandement de la Loi ? –, elle porte donc sur le moyen de parvenir à la vie éternelle, à cette résurrection de vie, dont il a été débattu précédemment.

 

La réponse de Jésus se résume à l'amour de Dieu et du prochain comme de soi-même ; et l'on sait par la parabole dite « du bon samaritain » (Lc 10, 25-37) que le terme « prochain », en sa bouche, signifie tout homme. Ce lien insécable entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain comme de soi-même s'explique en premier lieu par la création de l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu, et par le fait qu'il est, comme le souligne le concile Vatican II, « la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » (Gaudium et spes, n° 24 § 3) – n'oublions pas le « sur terre », car les anges eux aussi ont été voulus pour eux-mêmes ! Écoutons alors le mot fameux de S. Jean : « Si quelqu'un dit : J'aime Dieu et qu'il hait son frère, c'est un menteur ; celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

 

Le péché originel de nos premiers parents ayant entraîné pour le genre humain des misères non seulement spirituelles, mais corporelles, l'amour pour le prochain est appelé bien souvent à revêtir le manteau de la miséricorde, en action, en paroles et en prières. Dans la ligne de notre première lecture, qui invitait à la compassion, en même temps qu'à la justice, envers des personnes en situation de précarité, comme l'immigré, la veuve et l'orphelin, le pauvre en argent ou en vêtement, le Compendium du Catéchisme de l’Église Catholique, énumère 14 œuvres fondamentales de miséricorde envers autrui ; 7 œuvres de miséricorde corporelle et 7 œuvres de miséricorde spirituelle :

 

1. Donner à manger à ceux qui ont faim.                                             1. Conseiller ceux qui doutent.
2. Donner à boire à ceux qui ont soif.                                                  2. Enseigner ceux qui sont ignorants.
3. Vêtir ceux qui sont nus.                                                                    3. Réprimander les pécheurs.
4. Loger les pèlerins.                                                                            4. Consoler les affligés.
5. Visiter les malades.                                                                           5. Pardonner les offenses.
6. Visiter les prisonniers.                                                                      6. Supporter patiemment les personnes importunes.
7. Ensevelir les morts.                                                                          7. Prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

En règle générale, il est souvent plus facile à l'homme de communier à la misère des autres et de se montrer empressé à leur venir en aide quand il a lui-même connu leur état d'indigence ou tout au moins un état similaire. Le chrétien, lui, outre qu'il fonde également son action miséricordieuse sur la solidarité de nature avec les autres hommes – nature qu'il sait venir du Créateur – considère surtout à quelle misère radicale il a été arraché, à quel prix et en vue de quelle destinée. Le Fils de Dieu n'a-t-il pas aimé l'humanité jusqu'à donner sa vie pour elle (1 Jn 3, 16) sur une croix (Ph 2, 8), se faisant pauvre de riche qu'il était, afin de nous enrichir par sa pauvreté (2 Co 8, 9), « mort une fois pour les péchés [...] afin de nous mener à Dieu » (1 P 3, 18) ? « Bien-aimés, écrit encore S. Jean, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1 Jn 4, 11).

 

Le service de la miséricorde doit donc se déployer per primum, même si de manière non exclusive, entre chrétiens – « Travaillons au bien de tous, spécialement dans la famille des croyants » (Ga 6, 10), nous dit S. Paul – et selon le modèle que rapporte S. Luc au livre des Actes des Apôtres : « Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). À ce propos, le pape Benoît XVI, tout en concédant que « cette forme radicale de communion matérielle [...] n’a pas pu être maintenue avec la croissance de l’Église », souligne néanmoins qu'à « l’intérieur de la communauté des croyants, il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle que soient refusés à certains les biens nécessaires à une vie digne »[1].

 

Nous touchons ici à la notion de bien commun, qui « est toujours orienté vers le progrès des personnes » (CEC 1912), auquel il est nécessaire que chacun participe (CEC 1913), dont l'autorité tire sa raison d'être (CEC 1921), et qui implique la redistribution des biens, sans se confondre avec un bien-être socio-économique, parce qu'il « n'a de valeur qu'en référence à la poursuite des fins dernières de la personne » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n° 170), à savoir le « Dieu vivant et véritable » (1 Th 1, 10).

 

Aussi, accueillons l'exhortation de S. Maxime le Confesseur à suivre le chemin pascal de Jésus, qui « se dépouilla (ekenôsen) lui-même en prenant la condition de serviteur » (Ph 2, 7) : « Ne vous lassez pas de faire le bien aux indigents, dit-il, afin d'avoir, par kénose[2], une plénitude que rien ne peut diminuer » (Lettre III).


[1] Deus caritas est (n° 20).

[2] C'est-à-dire par dépouillement.

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