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COMMENTAIRE DU PSAUME 22

 

Introduction

 

L'importance de ce psaume tient principalement à l'usage qu'en ont fait Jésus et le Nouveau Testament. Il narre l'aventure d'un juste réduit à une mort certaine par des ennemis acharnés, et qui, malgré l'inaction de Dieu et en dépit du cruel sentiment d'abandon qu'il éprouve, recourt à Yahvé avec une foi héroïque et acquiert la certitude de son salut. Pas un instant le suppliant ne songe à se demander s'il n'est pas châtié pour ses fautes. Il ne tente pas non plus de faire valoir son innocence. Sa misère est le seul motif de sa supplication. Autre trait qui le caractérise : sa maîtrise de soi. Il ne profère en effet aucune imprécation. S. Justin a longuement commenté ce psaume dans son Dialogue avec Tryphon (n° 98-106) comme préfiguration de la Passion et de la Résurrection du Christ.

 

Le psaume se divise en deux parties : 1 Supplication (v. 2-22) ; 2 Action de grâce (v. 23-32). Dans la première partie, complainte et affirmation de confiance alternent. Au cours du poème, le psalmiste passe du cri à la louange et Dieu du silence à la réponse.

 

 

1 Du maître de chant. Sur "la biche de l'aurore." Psaume. De David.

 

Ce psaume, d'après son titre, devait être chanté sur l'air de « la biche de l'aurore ». Mais les commentateurs ont proposé bien d'autres interprétations. Aucune n'est vraiment satisfaisante.

 

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi[1] m'as-tu abandonné?
Loin de me sauver, les paroles que je rugis !
3
Mon Dieu, le jour j'appelle et tu ne réponds pas,
la nuit, point de repos pour moi.

 

Se sentant abandonné de Dieu, le psalmiste exprime sa souffrance morale, signifiée par le redoublement du « mon Dieu, mon Dieu », cas unique dans l'Ancien Testament. Mais il a beau crié, Dieu se tait. Il s'attache à lui, mais s'interroge. Ces « pourquoi » ne sont pas rares dans la Bible (Ps 10, 1 : « Pourquoi, YHWH, restes-tu loin, te caches-tu aux temps de détresse ? » ; Ps 44, 25 : « Pourquoi caches-tu ta face, oublies-tu notre oppression, notre misère ? » ; Ps 74, 1 : « Pourquoi, ô Dieu, rejeter jusqu'à la fin, fumer de colère contre le troupeau de ton bercail ? », etc). Le verset 2a sera repris par le Christ en croix (Mt 27, 46 ; Mc 15, 34). Dire du rugissement des paroles qu'il est loin du salut, c'est reconnaître qu'il ne peut sauver par lui-même. Dieu doit intervenir. Le non-repos de la nuit provient soit de la prière incessante, soit de l'impossibilité à trouver le sommeil en raison de la douleur. Le verset 3b peut être traduit ainsi : « Et la nuit, et il n'y a que silence pour moi »[2]. Le drame du psalmiste est bien le silence de Dieu.

 

4 Mais toi, tu es saint, toi qui habites les louanges d'Israël.

 

Malgré sa détresse, le psalmiste trouve la force de chanter la sainteté de Dieu. Comment comprendre le « toi qui habites les louanges d'Israël » ? Retenons deux interprétations : 1 Qui te loue, te trouve dans sa prière ; 2 Israël te loue pour ce que tu as déjà fait pour lui. Cette seconde interprétation s'accorde mieux avec le contexte immédiat, puisque les versets suivants font mémoire de l'œuvre divine en faveur des Pères. Le TM dit littéralement : « Et toi, tu es saint, tu sièges sur les louanges d'Israël ». Autrement dit, les louanges d'Israël sont pour Dieu comme les ailes des chérubins sur lesquelles il trône en Seigneur (2 R 19, 15 ; Ps 80, 2 ; 99, 1).

 

5 En toi nos Pères ont espéré,
ils ont espéré et tu les as libérés ;
6
vers toi ils ont crié et tu les as sauvés,
en toi ils ont espéré et ils n'ont pas été confondus.

 

La mémoire est l'espérance du futur. Ce que Dieu a accompli jadis (Dt 26, 7-8), il peut le renouveler aujourd'hui. Parmi les Pères, on peut citer Abraham (Gn 14), Jacob (Gn 31-32), Joseph (Gn 39), Moïse (Ex). Le psalmiste revient souvent sur l'action divine d'autrefois pour y puiser espérance et inciter son Dieu à intervenir (Ps 77, 12). L'histoire sainte n'est qu'une longue suite d'appels et d'exaucement (Ps 107, 6.13.19.28). On pourrait parler ici d'un motif national de confiance, alors qu'aux versets 10-12, il s'agira d'un motif personnel.

 

7 Mais moi je suis un ver, pas un homme,
l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple.
8 Tous ceux qui me voient me raillent ;
leur bouche ricane et ils hochent la tête :
9
" Il a mis son espérance dans le Seigneur : qu'il le délivre,
qu'il le sauve, puisqu'il l'aime".

 

Au Mais toi du verset 4, fait écho le Mais moi du verset 7. Le psalmiste confesse sa misère, son affliction, sa faiblesse, symbolisées par le ver qui est un animal sans consistance et sans défense. Objet de mépris et de moquerie, il décrit simplement son malheur qui n'est pas sans rappeler celui du serviteur souffrant décrit par Isaïe (52, 14 ; 53, 3). Ces épreuves sont le sort inévitable du juste (Sg 2, 18-20). Sa prière ici est une prière d'insinuation et son état, dont la cause demeure cachée, devient occasion de blasphème contre Dieu, comme au Ps 42, 4.11 : « Où est-il ton Dieu ? ». L'évangéliste Matthieu montrera qu'il en fut ainsi pour Jésus (Mt 27, 43).

 

10 C'est toi vraiment qui m'as tiré de la matrice ;
mon espérance dès les seins de ma mère.
11
Sur toi je fus jeté au sortir des entrailles ;
dès le ventre de ma mère, mon Dieu c'est toi.

 

Le v. 10b se traduit : « Mon espérance dès les seins de ma mère » d'après la Néo-vulgate qui suit les LXX ; le TM porte : « Tu m'as mis en confiance sur les seins de ma mère ». Comme précédemment, le psalmiste fait mémoire du passé et rappelle à Dieu qu'Il est son Créateur (v. 10) et son Père (v. 11). Dieu, comparé à une sage-femme, fait venir à l'existence, et le psalmiste est son enfant selon l'allusion faite à l'usage de placer le nouveau-né sur les genoux de son père. Voilà ce que Dieu a fait dans le passé. Il ne peut donc aujourd'hui l'abandonner.

 

12 Ne sois pas loin de moi, proche est l'angoisse ;
personne pour m'aider.

 

Cri insistant, déchirant même, qui ouvre la seconde partie de la supplication. Dieu seul peut le sauver. Pas d'autre secours que lui. Ce cri sera repris à peu près dans les mêmes termes au v. 20. Dieu se tait, Dieu est loin. Quelle angoisse, car si lui abandonne, il n'est plus d'espoir.

 

13 Des taureaux nombreux me cernent,
de fortes bêtes de Bashân m'encerclent.
14
Ils ouvrent leur gueule contre moi,
tels des lions déchirant et rugissant.

 

Au moyen d'images, dont la puissance montre sa grande souffrance, le psalmiste poursuit la description de son malheur (cf. v. 7-9). Le pays de Bashân est situé à l'est du Jourdain. Il était célèbre pour ses riches pâturages et ses bêtes grasses (Am 4, 1).

 

15 Comme l'eau je m'écoule
et tous mes os se disloquent ;
mon coeur est pareil à la cire,
il fond au milieu de mes viscères.

 

Description de la douleur physique. L'eau qui fuit symbolise ce qui disparaît sans espoir de retour. Plus rien ne tient dans le corps du psalmiste. Le cœur, symbole de toute la personne, perd sa vigueur. Il perd toute consistance.

 

16 Mon palais est sec comme un tesson,
et ma langue collée à ma mâchoire.
Tu me couches dans la poussière de la mort.

 

Brûlure, fièvre, fournaise, le psalmiste à l'agonie est assoiffé. Sa bouche est pareille à une poterie cuite au feu. Sa langue est paralysée par le manque d'eau. « J'ai soif », dira le Christ en croix. Cet état s'assimile à l'anéantissement de la mort où Dieu lui-même conduit le psalmiste.

 

17 Des chiens nombreux me cernent,
une bande de vauriens m'entoure ;
ils m'ont percé les mains et les pieds.
18
et je peux compter tous mes os.

 

Le psalmiste fait retour sur l'attitude des ennemis tout en poursuivant la description de son état. L'image du v. 17 est moins forte que celle des v. 13-14, mais elle souligne la vulgarité des ennemis (cf. Dt 23, 19). Le verset 17c n'est pas explicitement cité par les évangélistes, mais il en est fait notamment référence en Jn 20, 25.27. Tout le corps est devenu douloureux. Tellement ses os sont saillants, tellement donc il est maigre, que le psalmiste peut compter ses os.

 

Les gens me voient, ils me regardent ;
19
ils ont divisé mes vêtements entre eux
et ils ont tiré ma tunique au sort.

 

Il y a ici une allusion à la coutume du droit assyrien du partage des vêtements des vaincus et des condamnés à mort par les vainqueurs et les bourreaux. Cf. Mt 27,35 ; Jn 19,24.

 

20 Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin ;
ma Force, hâte-toi de me secourir.
21
Délivre mon âme de l'épée,
de la patte du chien, mon unique ;
22
Sauve-moi de la gueule du lion
et des cornes du buffle [..., mon humilité : LXX].
[TM : Tu m'as répondu]

 

Laissant la description de ses maux, le psalmiste élève vers YHWH une prière toute pure (cf. v. 12 : Ne sois pas loin de moi), cri suprême de sa foi, de son espérance, de son amour. C'est la première fois qu'apparaît dans le Psautier l'expression “hâte-toi”. On la retrouve encore six fois par la suite (Ps 38, 23 ; 40, 14 ; 70, 2.6 ; 71, 12 ; 141, 1) Le mon unique signifie la vie, l'âme (terme de poésie sapientiale qui dit qu'elle est le seul bien ; cf. Ps 35, 17). Quant au mon humilité, il fait peut-être plus référence au corps... Le « tu m'as répondu » du verset 22 marque la charnière entre la supplication (v. 2-22) et l'action de grâce (v. 23-32). Il suppose une libération. Il fait écho au « tu ne réponds pas » du v. 3. Comme le psalmiste avait été tiré par Dieu « hors de la matrice » et « hors du ventre de sa mère » (v. 10-11), il le sera aussi « hors de l'épée », « hors de la patte du chien », « hors de la gueule du lion », « hors des cornes du buffle » (v. 21-22).

 

23 J'annoncerai ton nom à mes frères,
en pleine assemblée je te louerai.
24
Vous qui craignez le Seigneur, louez-le ;
toute la race de Jacob, glorifiez-le.
Redoutez-le toute la race d'Israël,
25
parce qu'il n'a pas méprisé ni dédaigné l'affliction du pauvre,
ni détourné sa face de lui ;
et lorsqu'il a crié vers lui, il l'a exaucé.

 

Ayant reçu réponse de la part de Dieu, le psalmiste envisage d'associer tout Israël à sa reconnaissance en se faisant le grand chantre de YHWH. Sûr désormais de son Salut, il se voit au milieu des siens dans une assemblée cultuelle, les invitant tous à remercier Dieu de sa délivrance. Méprisé par tous, il ne l'a finalement pas été par Dieu. Quand Dieu manifeste sa miséricorde, il tourne son visage vers le miséreux (Ps 10, 11 ; 13, 2...). Ce Salut, survenu à l'encontre des prévisions humaines, et que le psalmiste voit comme déjà réalisé, offrira à tous les affligés d'Israël, qui comme lui consentent à s'abandonner à YHWH, la certitude de sa protection salvatrice. La résurrection du Christ débouchera elle aussi sur l'annonce du nom de Dieu aux « frères » (cf. Mt 28, 20 ; Jn 20, 17 ; 21, 23 ; He 2, 10-12).

 

26 De toi vient ma louange dans la grande assemblée,
j'accomplirai mes voeux devant ceux qui le craignent.
27
Les pauvres mangeront et seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
" Que vive votre coeur à jamais ! ".

 

Dans sa joie, le psalmiste ne songe plus à ses ennemis. Il accomplit ses vœux et offre un sacrifice, il rassemble la communauté pour le repas de fête qui suit la délivrance (Lv 7, 15 ; Dt 14, 29). Il se tourne vers ses frères pour leur communiquer nourriture et enthousiasme. Sa proclamation publique se veut didactique, elle servira d'instruction au peuple. Les misérables retiendront que s'ils recourent à YHWH, eux aussi seront secourus et connaîtront la prospérité.

 

28 Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers YHWH,
et toutes les familles des nations se prosterneront devant lui.
29
Car la royauté est à YHWH ;  c'est lui qui dominera les nations.

 

L'expérience du psalmiste aura une répercussion non seulement sur Israël, mais encore sur les païens. La perspective ici est universaliste. Les nations bénéficieront du prodige et seront amenées à reconnaître que YHWH est le Roi des hommes. Ainsi, le psalmiste conduit tous les hommes à l'adoration.

 

30 Oui, devant lui seul se prosterneront tous les puissants de la terre,
devant lui se courberont tous ceux qui descendent à la poussière.

 

Encore plus étonnant : les morts eux-mêmes seront touchés par ce qu'aura vécu le psalmiste. Eux aussi adoreront YHWH. En invitant les morts à rendre hommage à YHWH, le psalmiste démythiserait la croyance cananéenne en la déification des défunts.

 

Mais mon âme vivra pour lui,
31
et ma race le servira.
On parlera du Seigneur à la génération à venir ;
32
et on annoncera sa justice au peuple qui va naître :
" Voici ce qu'a fait le Seigneur ! ".

 

Comme le Serviteur d'Isaïe, le psalmiste aura une postérité spirituelle (Is 53, 10) qui ne cessera d'affirmer la justice divine. Mais la valeur expiatoire de la souffrance, affirmée en Is 53, 4-6, ne l'est pas ici. À la face du monde, sera publié le salut opéré par YHWH. Voici ce qu'a fait le Seigneur : formule isaïenne qui sert à caractériser les œuvres capitales de Dieu (création, régénération messianique : cf. Is 41, 20...). « Allez, de toutes les nations, faites des disciples » (Mt 28, 19), dira Jésus aux apôtres après sa résurrection.

 

 

[1] Dans son commentaire, le rabbin Samson Raphael Hirsch (1808 1888) fait remarquer que l'accent tonique de lamá porte sur la seconde syllabe et non sur la première comme dans le láma habituel. L'édition américaine de cet ouvrage traduit : « For what purpose », dans quel dessein ? Henri Meschonnic traduit lui : « À quoi m'as-tu abandonné ? » (Gloires, traduction des psaumes, Paris, 2001, p. 389). Les LXX portent : ina ti, « Pourquoi ? »

[2] Cf. Puech E., « Un emploi méconnu de wl' en araméen et en hébreu », RB 91 (1984), p. 94-96.

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