NATURE DE LA FOI

 

Introduction

 

Le Catéchisme de l'Église catholique définit la foi comme « la vertu théologale par laquelle nous croyons en Dieu et à tout ce qu'Il nous a révélé, et que la Sainte Église nous propose à croire, parce qu'il est la vérité même ». En nous s'appuyant sur l'étude de cette vertu réalisée par S. Thomas d'Aquin (Cf. IIa IIae, q. 1-7), nous essaierons d'expliciter la présente définition en considérant la foi tout d'abord en tant que vertu théologale, puis quant à son acte, enfin selon son objet.

 

La foi : vertu théologale (IIa IIæ, q. 4)

 

Dire de la foi qu'elle est une « vertu théologale », c'est d'une part la désigner comme un habitus bon et d'autre part affirmer qu'elle a pour origine et pour fin Dieu lui-même. Mais elle ne peut pleinement se comprendre que dans sa distinction des deux autres vertus théologales, l'espérance et la charité, et surtout dans sa relation avec cette dernière.

 

La foi : une vertu

 

En tant qu'elle est une vertu, la foi est un habitus opératif bon, une disposition stable à bien agir, qui qualifie en l'occurrence l'intelligence humaine et plus précisément l'intellect spéculatif. En cela, elle ne se distingue pas des autres vertus intellectuelles spéculatives (intelligence, science, sagesse). Sa spécificité se prend ici de son origine divine qui lui confère à leur égard une certitude plus grande (Cf. IIa IIæ, q. 4, a. 8).

 

La foi : une vertu théologale

 

À la différence des autres vertus de l'intellect spéculatif, la foi n'est pas une vertu acquise, mais infuse. Elle est un don de Dieu fait à l'homme qui dépasse la nature de celui-ci et l'élève à poser des actes ayant Dieu lui-même pour objet. Par là, elle ne se distingue pas des deux seules autres vertus théologales, l'espérance et la charité. Sa spécificité par rapport à elles tient à la manière dont elle envisage son objet.

 

La foi : première des vertus théologales

 

Alors que l'espérance et la charité ont leur siège dans la volonté, que par la première l'on désire Dieu comme notre bonheur et le moyen d'y parvenir, et que par l'autre on aime Dieu plus que tout pour Lui-même, et notre prochain comme nous-même pour l'amour de Dieu, la foi a son siège dans l'intelligence et se porte vers Dieu comme Vérité première, et vers ce qu'il a révélé. De là vient que la foi est la première des vertus théologales, car ne peut être désiré et aimé que ce qui est d'abord connu (Cf. IIa IIæ, q. 4, a. 7). Cependant, en son acte, elle dépend de la charité.

 

La foi dans son rapport à la charité

 

La foi en tant que vertu de l'intellect spéculatif est le principe de l'acte de croire. Mais cet acte, comme nous allons le voir ci-après, implique une intervention de la volonté. En tant qu'elle qualifie cette volonté qui contribue à l'acte de croire, la charité est dite « forme » de la foi. Par elle, en d'autres termes, l'acte de foi est parfait et formé. Dans le cas où elle vient à disparaître par suite d'un péché mortel, on parle d'une foi informe qui, du fait de l'absence de la perfection requise du côté de la volonté, n'est plus alors une vertu au sens strict (Cf. a. 5) et ne peut produire son acte que de manière imparfaite.

 

L'acte de foi (IIa IIæ, q. 2-3)

 

L'acte de foi peut être considéré à deux points de vue : selon qu'il est un acte intérieur d'adhésion (q. 2), et en tant qu'il est un acte extérieur de confession (q. 3). Nous nous appliquerons ici à l'acte intérieur et à ses trois dimensions.

 

L'acte intérieur de foi

 

Croire, venons-nous d'affirmer, est un acte conjoint de l'intelligence et de la volonté. Il faut maintenant reprendre cette formule en précisant que l'acte de foi est immédiatement un acte de l'intelligence, mais « en tant qu'elle est portée par la volonté à donner son adhésion »[1] à Dieu et à ce qu'Il a révélé. Pourquoi la volonté doit-elle intervenir dans cet acte d'adhésion ? La réponse tient à l'inévidence de l'objet face auquel se trouve l'intelligence. En effet, celle-ci peut adhérer à quelque chose de deux façons :

 

  • soit de manière irrésistible en raison de l'évidence de son objet, comme par exemple le principe de non-contradiction[2] ou le résultat d'une opération mathématique (2+2 = 4). Elle possède alors l'intelligence ou la science de son objet. Sa certitude est parfaite dans les deux cas[3].

 

  • soit par assentiment, c'est-à-dire « en s'attachant volontairement par choix à un parti plutôt qu'à un autre » (IIa IIæ, q. 1, a. 4) parce que l'objet ne s'impose pas de lui-même. Par exemple une nouvelle qui nous parvient par le témoignage d'autrui. Ici, deux cas principaux peuvent être distingués selon la qualité de l'assentiment qui est donné : l'opinion et la foi. La première adhère à cet objet inévident avec hésitation parce qu'elle craint de se tromper. L'autre donne son adhésion de manière ferme parce qu'elle veut faire confiance au témoin (Cf. IIa IIæ, q. 2, a. 1).

 

L'acte intérieur de foi n'est donc ni purement intellectuel, ni volontariste, mais il en appelle à la liberté de l'homme. Cet acte est constitué de trois dimensions.

 

Les trois dimensions de l'unique acte intérieur de foi (Cf. IIa IIæ, q. 2, a. 2)

 

À la suite de S. Augustin, S. Thomas d'Aquin reconnaît trois aspects dans l'unique acte de foi, pris selon les diverses relations de celui-ci à son objet : croire à Dieu (credere Deum), croire Dieu (credere Deo), croire en Dieu (credere in Deum). Les deux premiers aspects regardent l'intelligence seule, le troisième en tant qu'elle est mue par la volonté :

 

  • Credere Deum : C’est l’acte de foi au point de vue de son contenu : l’existence de Dieu, sa Providence et tout ce qui le concerne. La foi morte, non informée par la charité, relève uniquement de cet aspect, de même que la foi des démons (Cf. Jc 2, 17), qui n'est pas elle un don de la grâce (Cf. IIa IIæ, q. 5, a. 2, ad. 2), mais simplement une foi naturelle.

 

  • Credere Deo : C'est l'acte de foi au point de vue de son motif : Dieu, Vérité première, par laquelle on adhère à ce qu’on croit.

 

  • Credere in Deum : C'est l'acte de la foi considéré au point de vue de sa fin : Dieu, Bien suprême de l'intelligence et de la volonté. Le Symbole de la foi s'ouvre par cette formule (Credo in unum Deum), car elle exprime l'acte complet de la foi, c’est-à-dire informé par la charité, quand l’intelligence est mue par la volonté.

 

L'Objet de la foi (IIa IIæ, q. 1)

 

L'objet de la foi est Dieu lui-même et ce qu'Il nous a révélé. Mais comme pour tout objet d'un habitus cognitif, ici la vertu de foi, il faut d'abord distinguer ce qui est connu (objet matériel, ou contenu) de ce par quoi l'objet est connu (objet formel ou motif), puis chercher à comprendre son rapport à la puissance cognitive. Aussi, après avoir analysé l'objet de la foi en lui-même sous ses deux aspects, nous étudierons d'une part son adaptation à l'intelligence humaine, adaptation dite « psychologique », puis son adaptation « historique » aux croyants.

 

L'objet de la foi en lui-même (Cf. a. 1)

 

  • L'objet matériel (ce qui est connu) : Principalement Dieu lui-même en tant que Vérité première, secondairement ce qu'Il nous a révélé d'autre que Lui, par exemple ce qui touche à l'humanité du Christ et aux sacrements de l'Église. Cependant, puisque ces autres vérités de foi visent à aider l'homme à jouir de la divinité, autrement dit puisqu'elles sont ordonnées à Dieu, de leur côté aussi l'objet de la foi est d'une certaine façon la Vérité première.

 

  • L'objet formel (ce par quoi l'objet est connu) : La foi donne son assentiment à Dieu Vérité première et aux vérités qu'Il nous a révélées, par Dieu lui-même. La vérité divine elle-même est comme le moyen sur lequel s'appuie cette foi. Dieu n'est connu que par Dieu. C'est pourquoi la foi est une participation à la connaissance que Dieu à de lui-même et de toutes choses.

 

L'objet de la foi dans son rapport à l'intelligence humaine (Cf. a. 2-5)

 

Comme toute puissance cognitive, l'intelligence humaine reçoit son objet selon son mode propre. Dieu, Vérité première, ne peut donc entrer en elle qu'en respectant ce mode. Or c'est par l'activité appelée « le jugement », qui unit des notions par un verbe, tel « James Bond est un agent secret », que l'intelligence atteint la vérité. C'est pourquoi la Réalité divine, simple et transcendante, recourt à des énoncés et propositions pour s'adapter à l'intelligence qui procède elle par composition et division. Par le langage humain, Dieu se rend intérieurement présent à l'intellect de l'homme. Cependant, si la foi ne peut atteindre la Réalité divine hors de tout mode humain de connaissance et de langage, elle ne se termine ni aux mots, ni aux énoncés, mais à la réalité elle-même qu'ils désignent. La foi atteint la Réalité divine à travers des énoncés humains, dont les articles du Credo constituent la synthèse.

 

En tant qu'elle s'appuie sur le témoignage de Dieu, Vérité première, qui ne peut n'y se tromper, ni tromper l'homme, et bien que ce témoignage parvienne par le langage humain, la foi est préservée de toute erreur. Autrement dit, « L'objet de la foi ne contracte aucune fausseté [en raison] de la Vérité première révélante. »[4]. L'erreur ne peut venir que d'une défaillance de l'intelligence (Cf. a. 3). Néanmoins, Dieu demeure un « Dieu caché », obscur à la foi, indémontrable. Tant que l'être humain ne le voit pas face à face, dans son essence, il ne peut le "savoir", seulement y croire (Cf. a. 4-5).

 

L'objet de la foi dans son adaptation historique aux croyants (Cf. a. 7-10)

 

Si la Vérité première s'adapte à l'intelligence humaine pour être connue d'elle, comme nous venons de le voir, elle s'ajuste aussi de manière sociale à l'humanité et au déroulement de l'Histoire. Dans la définition de la foi telle que la donne le Catéchisme et que nous avons citée en introduction à ce travail, nous touchons ici à ce que « la Sainte Église nous propose à croire », c'est-à-dire au dépôt de la foi, à sa transmission et à son explicitation à travers le temps, ce qu'on appelle dans ce dernier cas « le développement du dogme ».

 

La Révélation que Dieu a faite de lui-même s'est consommée ici-bas dans le Christ. Toutefois, avant l'Incarnation du Verbe, « à maintes reprises et sous maintes formes, [Dieu a parlé] par les prophètes » (He 1, 1). L'objet de la foi est cependant resté le même, car « substantiellement, tout était implicitement contenu dans la première révélation »[5], l'existence de Dieu et sa Providence en vue du salut des Hommes (a. 7).

 

Si le dépôt des vérités révélées est entièrement constitué à la mort du dernier Apôtre, sa transmission aux générations successives et sa prise de conscience croissante par l'Église ne s'achèveront, elles, qu'avec la Parousie. L'Église est la dépositaire de la Révélation. Elle a reçu mission de la garder dans sa pureté, et de la prêcher (Cf. Mt 28, 19-20). Par elle, l'objet de la foi s'adapte aux lieux et aux temps.

 

Conclusion

 

La foi, vertu théologale, est, comme dit S. Thomas d'Aquin, « un habitus de l'esprit par lequel la vie éternelle commence en nous et qui fait adhérer l'intelligence à ce qu'on ne voit pas » (IIa IIæ, q. 4, a. 1). Son acte, parfait par la vertu de charité, implique l'assentiment de la volonté, et son objet, Dieu comme Vérité première, est atteint à travers des énoncés humains que l'Église a charge de garder intègres, de transmettre et d'expliciter en leurs vérités jusqu'au retour glorieux du Christ. Alors la foi n'aura plus lieu d'être et fera place à la vision de Dieu en son essence.

 

 

Bibliographie

 

  • Catéchisme de l'Église catholique, n° 153-165 ; 1814-1816 ; 2087-2089.

  • Labourdette M., La foi, Cours de théologie morale, IIa IIæ Qu. 1-16, Toulouse, 1959-1960.

  • S. Thomas d'Aquin, Somme de Théologie, La foi, IIa IIæ, Questions 1-7, éd. du Cerf, 1985.

 

[1] IIa IIæ, q. 2, a. 2.

[2] Qui s'énonce ainsi : « une chose ne peut pas, être et ne pas être en même temps sous le même rapport. »

[3] Cf. Labourdette M., La foi, Cours de théologie morale, IIa IIæ q. 1-16, Toulouse, 1959- 1960, p. 92.

[4] Labourdette M., La foi, Cours de théologie morale, IIa IIæ q. 1-16, Toulouse, 1959- 1960, p. 31.

[5] Labourdette M., La foi, Cours de théologie morale, IIa IIæ q. 1-16, Toulouse, 1959- 1960, p. 47.