LA PERSONNE DU SAINT-ESPRIT : RÉFLEXION DE SYNTHÈSE
Introduction
Principe de vie, force mystérieuse, source de justice et de sainteté, dans l'Ancien Testament, l'Esprit Saint apparaît comme celui qui, aux temps messianiques, sera répandu sur tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur. Il transformera les cœurs. Ces traits trouveront dans le Nouveau Testament une actualité nouvelle : l’Esprit est là, à l’œuvre dans le Fils de l’homme. Dans la théologie trinitaire, l’élaboration pneumatologique sera plus tardive et causera bien des débats dans l’Église durant plusieurs siècles.
I. Le donné biblique
1. L’Esprit Saint dans l’AT
L’hébreu ruah et le grec pneuma qui servent à désigner l'Esprit dans le l'Ancien Testament ont le sens de souffle et de puissance. Cet Esprit de Dieu crée et ordonne le monde. Il vient également sur des personnes : pensons au charisme des juges ou à l’onction du roi. Au départ, l’Esprit est donné à des personnes de façon éphémère en vue de l’accomplissement d’une mission précise. Mais la présence de l’Esprit sur des personnes va devenir permanente et stable, en particulier sur le roi (1 S 16, 13). Finalement, l’Esprit est attendu pour être répandu sur tout le peuple (Jl 3, 1). L’Esprit est répandu (Is 32,15), il remplit et fait vivre (Ez 37). Saint, il sanctifie.
L’expression composée « Esprit Saint », c’est-à-dire « Esprit de Sainteté », est très rare dans la bible hébraïque ; elle n’apparaît que trois fois (Is 63,10-11 / Ps 51,13). Cette rareté est sans doute due au fait que la sainteté appartient à Dieu seul : la sainteté exprime la séparation de Dieu, sa transcendance. L’expression « Esprit Saint » se développe surtout dans le judaïsme hellénistique (Sg 1,5 ; 9,17).
L’Esprit dans l’Ancien Testament a une note personnelle bien moins accentuée que la Parole ou la Sagesse. En fait, cet Esprit est avant tout une force intérieure, une puissance vivifiante.
2. L’Esprit Saint dans le NT
Dans les évangiles synoptiques et les Actes, l'Esprit apparaît comme une force de fidélité à Jésus qui assiste les disciples de Jésus dans les persécutions (Mc 13,11). Agent de l’histoire du salut qui s’accomplit en Jésus, il intervient en trois moments : sa naissance (agent de l’union), le baptême (il l’habite corporellement), les tentations (agent de la fidélité de Jésus à son Père et de sa mission salvifique). Les synoptiques le présentent comme étant à la source de ce que Jésus accomplit en son humanité, puis principe de l'Église et Loi nouvelle. Chez saint Paul, il est celui qui rattache le croyant à Jésus Ressuscité (Rm 8,9-11). Sa première œuvre est la confession du Christ Seigneur (1 Co 12,3).
Force personnelle, son action se situe dans la relation du Père et du Fils, ainsi que dans le rapport personnel des croyants avec Dieu le Père par le Christ. Il est le principe d’une vie nouvelle dont il est la loi (Rm 8), de liberté, de vie morale, des bienfaits eschatologiques (Ga 5,13-25), et de la structure trinitaire de la vie chrétienne : dans l’Esprit Saint nous avons part au Christ par qui nous avons libre accès au Père (Ep 2,18). L’Esprit édifie l'Église. Il la construit dans son rapport cultuel à Dieu par l’union au Christ qu’il opère (foi, charité, filiation) et par les dons particuliers, ministères et charismes dont il la dote.
L’approche johannique est un approfondissement paulinien. L’Esprit Saint demeure sur Jésus (1,33) qui le donne sans mesure (3,34). Jésus en promet la venue (14,16) et le livre à la croix (19,30.34) puis l’insuffle aux apôtres pour leur ministère après la résurrection (20,22). Jean ajoute un élément à la signification de Paraclet : témoin, maître intérieur de doctrine. Œuvrant en totale référence avec le Christ, il trouve l’origine de son envoi dans le Père et le Fils.
II. Le donné patristique
La reconnaissance explicite et réflexive de la divinité du Saint-Esprit et de son affirmation par le Nouveau Testament est tardive. L’attention s’était portée sur la divinité du Fils, et certaines expressions du Nouveau Testament paraissaient vagues, ne favorisant pas la reconnaissance de sa divinité personnelle. L’arianisme va se transporter sur la pneumatologie au IVe s. Certains évêques nièrent la divinité de l’Esprit. C’est pourquoi en 362, le concile régional d’Alexandrie déclara que le Saint-Esprit est vrai Dieu, et le Tome aux Antiochiens proclamera la vérité de sa personne. Depuis lors, chaque symbole reprend cet enseignement.
1. L’apport patristique oriental : Athanase, Basile et Grégoire de Nazianze
En réponse aux Tropiques, Athanase, dans ses quatre lettres à Sérapion, énonce le principe selon lequel la relation du Saint-Esprit au Fils est analogue à la relation du Fils avec le Père. Il sera suivi par Basile pour qui l’Esprit Saint est puissance de sanctification, causalité perfectionnante et puissance d’illumination. Caractérisant davantage la relation de l'Esprit avec nous qu’avec les deux autres personnes divines, il mettra l’accent sur l’homotimie, c'est-à-dire l'égalité d'honneur rendue aux personnes divines, qui manifeste leur égale dignité. Grégoire de Nazianze désignera la propriété du Saint-Esprit par l’ekporèse (Jn 15,26) qui manifeste qu’il est Dieu et précise l’hypostase.
2. Constantinople I (381) : l’Esprit Saint co-glorifié avec le Père et le Fils
Nicée I affirmait la foi de l'Église à l’Esprit. Constantinople I y ajoute cinq notes : « Seigneur (l’Esprit ne sera pas appelé Dieu puisque l'Écriture ne le fait pas), vivificateur (référence à son rôle créateur dans l’économie du salut), qui procède du Père (propriété hypostatique qui vient de G. de Nazianze et qui désigne non la sortie, mais l’origine), qui est co-adoré et co-glorifié avec le Père et le Fils (cf. Basile), qui a parlé par les prophètes ». Il tient sa nature divine du Père dont il procède. Non reconnu concile œcuménique avant Chalcédoine (451), Constantinople I proclame une foi reprenant les symboles existants (Nicée, Rome, Jérusalem). Son œuvre majeure réside dans les additions sur l’Esprit (offrant 3 qualificatifs « saint, Seigneur, vivifiant » et 3 formules). Rome étant absent de ce concile, le pape Damase réunit à Rome un synode proclamant la divinité de l'Esprit (382 ; cf. Tome de Damase).
3. L’apport de saint Augustin : l’Esprit Saint, communion et source de communion
St Augustin caractérise l’Esprit Saint comme amour du Père et du Fils. Il tend à considérer la charité comme une propriété personnelle du Saint-Esprit, fondant cette attribution sur l’économie du salut. Tel on est, tel on agit. Ce que Dieu nous donne, c’est son propre amour. Or, c’est par l’Esprit Saint qu’il nous le donne. Donc l’Esprit Saint est amour.
St Augustin va démontrer que l’Esprit Saint, est le nœud et principe de la communion intra-ecclésiale et de la communion des chrétiens avec le Père et avec le Fils. L’Esprit éternel du Père et du Fils, leur communion et leur don réciproque devient donc l’Esprit de l'Église dans le temps, le don temporel que lui font le Père et le Fils. Le souffle de l’Amour divin devient l’âme de l'Église universelle, corps du Christ.
III. Le Saint Esprit comme Amour personnel (St Thomas d’Aquin)
1. Le Saint Esprit est Amour (ST, I, q. 37, a.1)
St Thomas a montré que la mystérieuse personnalité du Saint-Esprit est le fait que le terme amour est à la fois un attribut essentiel (Dieu est Amour) et un attribut personnel (l’Esprit Saint est Amour).
a. Amour personnel
L’analogie psychologique peut nous donner une idée des deux processions des personnes divines (ST Ia, q. 27, a. 5) : l'une par mode d'intellect, ou génération du Verbe, l'autre par mode de volonté, ou procession de l'Amour.
- Procession immanente (q. 27, a. 1): la réalité qui procède demeure intérieur au principe duquel elle est issue. Dans le cas de la connaissance, le connaissant connaît son objet moyennant une conception intellectuelle ou verbe (mental), qu’il dit dans son esprit.
- Procession de l’impression : la réalité qui surgit dans la volonté du fait même de l’amour de l’amant. Dans le cas de l’amour, l’aimant aime son objet grâce à une impression affectueuse, qui est produit dans l’appétit et qu’on appelle amour. Le mot amour désigne donc à la fois l’acte d’aimer et l’impression affectueuse par laquelle l’aimé est dans l’aimant comme le connu est dans le connaissant.
Tout comme l’acte de connaître se termine dans la production d’un verbe, de même l’acte d’aimer s’achève dans la production d’un amour. Nous avons là les deux analogues créés de la deuxième et de la troisième Personne divine. Dans l’opération divine d’aimer, qui est une opération essentielle, il y a donc production d’un Amour procédant du Père et du Fils.
b. Les deux sens du nom "amour" en Dieu
Nous devons donc distinguer un sens essentiel et un sens personnel du terme amour :
- Le sens essentiel s’applique à la volonté du bien, à l’acte de celui qui aime envers l’être aimé et désigne la substance de Dieu (cf. 1 Jn 4, 8); à ce titre, il concerne toute la Trinité.
- Le sens personnel : Il constitue alors cette impressio par laquelle l’être aimé est présent en celui qui l’aime. Cette impression affectueuse, le Saint-Esprit qui procède en Dieu du fait qu’il s’aime. Il est le produit de cet unique acte d’amour par lequel le Père s’aime dans le Fils.
2. Le Saint-Esprit : Amour mutuel et communion du Père et du Fils
a. Le Saint-Esprit : Amour mutuel du Père et du Fils Le Saint-Esprit
Selon St Thomas, le thème du Saint-Esprit comme Amour mutuel posé sur les bases :
- L’impression d’amour qui surgit du fait que Dieu s’aime comme relation subsistante : le Saint-Esprit apparaît comme le lien d’amour du Père et du Fils, comme une personne « médiane » étant l’union mutuelle des deux. Il est comme le nœud d’amour du Père et du Fils
- Le Père et le Fils s’aiment par le Saint-Esprit : le Saint-Esprit comme Amour mutuel réunit en effet deux élément : la procession et l’union d’amour. Saint Thomas précise que le Saint-Esprit n’est pas le principe d’union du Père et du Fils mais il est celui qui procède du Père et du Fils dans leur union. Le Saint-Esprit comme l’impression ou le terme qui provient du Père et du Fils dans leur unité. Le Saint-Esprit, en tant qu’il procède du Père et du Fils, est leur Amour mutuel, le fruit d’amour du Père et du Fils.
b. Le Saint-Esprit : communion du Père et du Fils
L’Esprit est l’Amour mutuel du Père et du Fils. Le Père engendre le Fils qu’il aime et le Fils rapporte au Père cet Amour reçu dans la réciprocité. L’Esprit est cette affection, cette impressio d’Amour qui surgit éternellement dans l’Amour fécond par lequel le Père et le Fils s’aiment mutuellement. L’Esprit est le fruit de leur Amour, il est celui en qui le Père et le Fils s’aiment. Le Saint-Esprit procède en tant qu’il est l’Amour du Père et du Fils. La propriété personnelle de l’Esprit est l’Amour mutuel, la communion du Père et du Fils, le don mutuel que se font le Père et le Fils et qu’ils nous font.
Ainsi, pour expliciter la spiration, nous pouvons caractériser la personne de le Saint-Esprit par trois mots : Amour, Communion et Don. Par ce nom de Don, le Saint-Esprit est orienté vers nous dans la Trinité. En conclusion, ce que le Saint-Esprit a en propre, c’est d’exister sur le mode de l’Amour personnel du Père et du Fils, comme le fruit éternel de cet Amour qui est communion. En d’autres termes, la propriété propre de l’Esprit, c’est la spiration.
3. L’économie du Saint-Esprit
a. L’Esprit est l’amour par lequel le Père et le Fils s’aiment et nous aiment
Aimer les créatures, pour Dieu, c’est vouloir leur bien, c'est-à-dire créer et infuser la bonté dans les créatures. À la création, l’Esprit est la Personne d’Amour par laquelle Dieu est porté à créer, il est la source trinitaire de l’agir créateur de Dieu. L’Esprit est le motif de l’acte créateur au sein de la Trinité ; la raison dernière de l’acte créateur de Dieu, c’est son Amour. La fécondité de l’Amour au sein de la Trinité est la source de la fécondité créatrice de Dieu. Par conséquent, l’Esprit Saint, en tant qu’il est personnellement l’Amour au sein de la Trinité, est la raison de tous les dons gratuits que Dieu fait aux créatures, à commencer par l’être.
Dans les mystères du Christ, la conception du Christ par l’Esprit montre que l’incarnation est une œuvre d’amour. De la même façon, l’onction du Christ par l’Esprit au baptême montre qui est l’Amour qui remplit Jésus et qui va le conduire jusqu’à la croix. Enfin, la présence de l’Esprit à la croix nous montre le sens de la passion rédemptrice de Jésus. En effet, c’est l’Amour, et pas la souffrance, qui donne sa valeur au sacrifice de Jésus. Si nous sommes sauvés, c’est parce que l’Esprit d’Amour a rempli Jésus dans sa passion.
Enfin, ce thème éclaire notre grâce et tout l’organisme qui l’accompagne : la Révélation, l’Église, etc. Puisque l’Esprit est personnellement Amour, son action et sa présence se retrouvent en particulier dans la charité et dans ce qu’elle réalise, à savoir l’union avec Dieu, l’édification dans l’Esprit, le pardon, la réconciliation, etc. La charité doit être conçue comme une participation de la propriété personnelle de l’Esprit. La charité, comme amitié avec Dieu et entre les enfants de Dieu, a pour source exemplaire l’Esprit Saint qui est l’Amour d’amitié du Père et du Fils. Ainsi, la charité nous introduit également dans la communion du Père et du Fils. C’est par le même Esprit que le Père et le Fils s’aiment de toute éternité et qu’ils nous aiment.
b. Être aimé de Dieu et aimer Dieu, c’est participer du Saint-Esprit
Seul l’être humain avec l’ange peut connaître Dieu et l’aimer. Ce don, c’est la grâce par laquelle l’homme, à l’image de Dieu Trinité, est élevé jusqu’à une participation objective de la procession du Verbe et de l’Amour. Cette grâce est le don de la personne divine elle-même, le Saint-Esprit qui est personnellement donné. Le don du Père et du Fils : le Saint-Esprit étant le Don, est lui-même la Grâce incréée. Le Saint-Esprit répand la charité parce que qu’il est lui-même, dans sa propriété personnelle, la Charité du Père et du Fils par deux étapes :
– ce qui rend le nom Don apte à signifier non seulement la Trinité mais bien une personne de façon distincte (q. 38, a. 1).
– il s’agit du nom de cette personne qui est le Saint-Esprit (q. 38, a. 2).
Le Saint-Esprit nous associe à lui, il communique une participation de ce qu’il est, à savoir l’Amour du Père et du Fils. L’Esprit nous unit à Dieu par l’amour, car il est lui-même l’Amour de Dieu, et c’est pourquoi il donne la vie. Ainsi, le Saint-Esprit comme Don et donné. Il y a deux relation : la relation d’origine qu’il faut connaître dans le Don divin. Le nom Don est un nom personnel, une distinction personnelle « Don du donateur » (Don du Père et du Fils) et la relation à l’endroit de celui qui le reçoit. Dans la vie de la grâce, nous ne recevons pas seulement des effets du Saint-Esprit mais nous recevons le Saint-Esprit en personne. Elle implique la doctrine de l’image de Dieu en l’homme.
c. L’amitié divine procurée par le Saint-Esprit
Le Saint-Esprit donne aux Hommes la charité qui leur permet d’aimer Dieu et de devenir les amis de Dieu, il est la source de tous les bienfaits divins. La charité de Dieu peut être saisie de deux façons : soit comme la charité par laquelle Dieu nous aime, soit comme charité par laquelle nous aimons Dieu.
Le Saint-Esprit, l’Amour en personne, communique son impulsion, il pousse, met en action suscite avec vigueur. Sa procession est manifestée par l’analogie du mode de présence de l’être spirituel à lui-même. Cette approche révèle sa fécondité pour manifester la procession éternelle de personne, leur envoie aux hommes et sa habitation dans le cœur des saints. Avec le Saint-Esprit, le Père et le Fils viennent faire leur demeure chez ceux qui la grâce a saisis en raison de l’habitation du Saint-Esprit car « L’être aimé se trouve dans celui qui aime ». La présence d’amour se trouve au don du Saint-Esprit dans la grâce. Elle comporte deux faces : la présence de la Trinité au saints et la présence des saints à Dieu Trinité. La Trinité habite dans les saints par l’envoi du Fils et du Saint-Esprit. Dieu Trinité se rend présent à l’homme qui adhère à lui en le connaissant, par la foi vive et la charité. Le Saint-Esprit établie les hommes dans l’amitié divine et les rend contemplateur de Dieu, leur donnant, par cette contemplation, de demeure avec Dieu.
Conclusion
La doctrine sur la personne du Saint-Esprit nous a permis de constater la propriété de l’Esprit Saint au sein de la Trinité. En théologie latine, l’Esprit est l’Amour personnel dans la Trinité, non au titre de substance divine (qui est commune à toute la Trinité) mais comme ce que l’Amour cause dans l’être aimé. Si le Saint-Esprit est la communion du Père et du Fils, il agit en conséquence par rapport à la Création : par lui, le don par excellence (cf. Rm 5, 5), nous sommes rendus capables de communion avec Dieu et entre nous.
Bibliographie
- Thomas d’Aquin, Somme de Théologie, Ia, q. 36-38.
- Emery G., :
➢ Cours « Dieu Trinité », Fribourg, 2003-2004.
➢ La théologie trinitaire de Saint Thomas d’Aquin, Cerf, Paris, 2004, p.263-308.