LA NOTION DE PERSONNE EN DIEU
ET LA PÉRICHORÈSE DES PERSONNES DIVINES
INTRODUCTION
Les termes de « personne » et de « périchorèse », utilisés en théologie trinitaire, n'appartiennent pas à l'Écriture Sainte. Le premier relève d'une élaboration philosophique du monde latin (Ve-VIe s), le second vient de l'Église d'Orient (VIIe ou VIIIe s), c'est « un motif d'origine patristique.[1]» Tous deux aident indéniablement à mieux contempler et exprimer le mystère du Dieu un et trine.
LA NOTION DE PERSONNE EN DIEU
Définition ontologique
Selon le philosophe chrétien Boèce († 525), la personne est « une substance individuelle de nature rationnelle.[2]» Cette définition, reprise et magnifiée par saint Thomas d'Aquin[3] dans le contexte de sa théologie trinitaire, implique les notions de substance, d'individualité, et de rationalité :
- La substance : ce terme désigne soit le sujet qui subsiste par soi, par opposition aux accidents qui subsistent en lui, on parle alors de « substance première », soit la nature de ce sujet qui lui est commune avec d'autres sujets, et l'on parle alors de « substance seconde. » Dans la définition de Boèce, l'adjectif « individuelle » sert à préciser qu'il s'agit en l'occurrence de la substance première.
- L'individualité : cette notion indique que l'être en question est singulier, incommunicable et distinct des autres.
- La rationalité : elle comprend volonté et intelligence par lesquelles l'individu est maître de ses actes et libres de ses choix pour s'avancer vers sa fin.
Une notion analogique
Selon ce qui précède, la notion de « personne » s'applique à Dieu, à l'ange et à l'Homme, mais d'une manière analogique et non univoque, c'est-à-dire selon une signification partiellement semblable et partiellement différente. Le premier analogué est bien sûr Dieu en tant que de Lui dépend toute la création. En Lui, la notion de personne est parfaitement réalisée, alors qu'elle l'est imparfaitement dans l'ange, et plus imparfaitement encore dans l'Homme[4] :
- La substance : pour Dieu et l'ange, il ne peut s'agir que de la substance seconde, car l'un comme l'autre est son essence. Au sens de substance première, cette notion ne s'applique donc qu'à l'Homme.
- L'individualité : En Dieu, les personnes se distinguent par leurs relations d'origine. Chez l'ange, le principe d'individuation se prend de l'essence, et chez l'Homme, de son corps.
- La rationalité : il faut entendre « nature raisonnable » pour Dieu et l'ange au sens de nature intellectuelle en général. Chez l'Homme, la raison est discursive.
Les trois personnes divines
Les trois personnes divines du Père, du Fils et du Saint-Esprit ne se distinguent que par leurs relations d'origine. Chaque personne divine est une relation subsistante. Pour mieux saisir l'inouïe d'une telle affirmation, rappelons que la notion philosophique de « relation » compte parmi les neuf accidents distingués par Aristote. Comme eux, elle inhère dans un sujet, mais sa particularité tient à son essence qui consiste en un rapport à autre chose. En Dieu toutefois, la relation ne fait pas nombre avec l'essence, elle n'en est pas un accident, mais elle est cette essence divine elle-même. « La personnedivine signifie la relation en tant que subsistante.[5]»
En raison des deux processions intra-divines que sont la génération du Fils à partir du Père et la procession de l'Esprit à partir du Père et du Fils, on trouve en Dieu quatre relations : la paternité (du Père par rapport au Fils), la filiation (du Fils par rapport au Père), la spiration (de l'Esprit par le Père et le Fils), et la procession (de l'Esprit à partir du Père et du Fils).
LA PÉRICHORÈSE DES PERSONNES DIVINES
Le terme « périchorèse » signifie littéralement « circulation » ou « rotation » et désigne en théologie trinitaire la mutuelleimmanence des trois Personnes divines l’une dans l’autre. D'abord apparut sous forme de verbe – perixwre/w – avec Grégoire de Nazianze et à propos des deux natures du Christ, il fut ensuite substantivé et transposé en théologie trinitaire par Jean Damascène[6]. Son fondement scripturaire se trouve en Jn 14,11 : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » et son fondement doctrinal dans l'homoousios du concile de Nicée.
Au XIIe siècle, la traduction latine du De Fide orthodoxa de Jean Damascène par Burgundio de Pise rendit le terme perixw/rhsij par circumincessio. Ce n'est qu'à partir du XIIIe siècle que l'orthographe circuminsessio fit son apparition sans modifier toutefois le sens du mot[7]. Une réinterprétation moderne (XIXe s) a vu un sens statique dans le terme circuminsessio, et un aspect dynamique dans celui de circumincessio. Saint Thomas d'Aquin, quant à lui, n’emploie ni l’une ni l’autre expression. Il parle simplement d’esse in[8].
La périchorèse des personnes divines repose avant tout sur leur consubstantialité, mais aussi sur leurs relations et leur origine[9] : grâce à leur commune essence, chaque Personne est dans l’autre ; quant aux relations, chaque Personne est relative à une autre (le Père au Fils et vice versa ; l'Esprit au Père et au Fils et vice et versa) ; en ce qui concerne leur origine, il faut préciser que les processions sont des actions immanentes, intra-divines, de sorte que le Fils est engendré dans le Père, tout comme le verbe mental reste dans l’esprit de celui qui le conçoit. Il en va de même de l’Esprit Saint qui procède en Dieu.
La périchorèse trinitaire exprime donc l’unité des Personnes, mais une unité sans confusion. Elle exclut le tri théisme puisque chaque Personne est présente dans les deux autres et inversement, ainsi que le sabellianisme puisque les trois Personnes demeurent distinctes dans leur immanence réciproque. Elle est « une notion intégratrice de l'unité et de la distinction.[10]»
CONCLUSION
La périchorèse nous dit de façon extraordinaire que la Trinité est un mystère de communion de la manière la plus profonde puisqu’elle est mutuelle présence au niveau le plus profond, celui de l’hypostase et de l’extase, de la substance et des relations. Cela nous touche également : lorsque l’Esprit Saint vient dans le cœur des justes, le Père et le Fils sont donnés simultanément puisqu’ils sont présents dans l’Esprit. La périchorèse nous montre que la grâce et le salut sont trinitaires. L’Esprit répandu en nos cœurs nous introduit dans la communion trinitaire.
BIBLIOGRAPHIE
- Batut J.-P., « Monarchie du Père, ordre des processions, périchorèse : trois clefs théologiques pour une droite confession trinitaire », COMMUNIO, XXIV, 5-6 - n°145-146 septembre-décembre 1999.
- Dondaine H.-F., « La notion de personne », dans Saint thomas d’Aquin, Somme théologique, La Trinité, t. I : Ia, Q. 27-32, Paris, 1950 (réimp. 1997), p. 237-245.
- Durand E., La périchorèse des personnes divines, Cerf, Cogitatio fidei 243, 2005.
- Fantino J., Dictionnaire critique de la théologie, art. « Circumincession », Paris, PUF, 1998.
- Emery G., La théologie trinitaire de saint Thomas d'Aquin, Cerf, 2004.
- St. Thomas, Somme de théologie, Ia, q. 29-30.
[1] DURAND E., La Périchorèse des personnes divines, Cogitatio Fidei 243, Cerf, 2005, p. 15.
[2] De duabus naturis, c. 3 (PL 64, 1343).
[3] Somme de théologie, Ia, q. 29.
[4] Cf. Ibid., a. 3, ad. 4.
[5] Ia, q. 29, a. 4.
[6] Et non par le Pseudo-Cyrille comme on l'a longtemps pensé (Cf. DURAND E., La Périchorèse des personnes divines, Cogitatio Fidei 243, Cerf, 2005, p. 19.). Cette notion s'est surtout répandue au XIIe siècle grâce à la diffusion en latin de l'Expositio de fide orthodoxa de Jean Damascène.
[7] Cf. FANTINO J., Dictionnaire critique de la théologie, article « Circumincession », Paris, PUF, 1998, p. 228.
[8] Cf. ST, Ia, q. 42, a. 5.
[9] Ibid.
[10] DURAND E., Op. cit., p. 35.