SUIS-JE RESPONSABLE DE MON MALHEUR ?
Lc 13, 1-5
01 Des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
02 Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ?
03 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.
04 Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?
05 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »
Deux événements tragiques : un crime sanglant commandité par un homme politique contre un groupe religieux, une catastrophe urbaine dans laquelle 18 personnes trouvent la mort. Ce passage de l'Évangile selon St Luc a un goût de journal télévisé avant l’heure. Pour Jésus qui connaît ces informations, c'est l'occasion d'un enseignement sur le rapport entre malheur et péché, et sur la conversion.
Fondamentalement, les désordres du monde, de la nature et de l'humanité sont liés au péché, comme l'enseigne l'Écriture. D'emblée, on pense au chapitre 3 du livre de la Genèse, mais l'on peut encore mentionner nombre de passages qui mettent en relation immédiate péché et malheur. À défaut de tous les citer, retenons-en quelques-uns. Au chapitre 10 (v. 1-5) du Lévitique, les prêtres Nadab et Abihou trouvent la mort pour avoir offert « devant le Seigneur un feu profane qu'Il ne leur avait pas commandé » (v. 1). Au chapitre 12 (v. 16-25) des Nombres, Miryam, sœur de Moïse, est frappée de lèpre pendant 7 jours pour avoir parlé contre son frère. Au chapitre 32 (v. 48-52) du Deutéronome, Moïse lui-même s'entend dire par le Seigneur qu'il n'entrera pas en Terre Promise à cause de son infidélité dans le désert de Cin, parce qu'il n'a pas fait éclater la sainteté de Dieu au milieu des fils d'Israël (cf. v. 51). Si en ces trois cas, le malheur atteint uniquement la ou les personnes responsables, il en est d'autres où le péché d'un seul a un retentissement communautaire. Ainsi, au chapitre 7 du livre de Josué, la convoitise d'Akân qui garde pour lui une partie du butin voué à Dieu lors de la prise de Jéricho, provoque la défaite du peuple devant les hommes de la ville d’Aï, puis, une fois le coupable découvert, la mise à mort de celui-ci et de sa famille en un lieu qui portera désormais le nom de « Vallée du Malheur (akor) » (v. 26). Au chapitre 2 du livre des Juges, c'est le péché, non plus individuel mais communautaire, qui est stigmatisé comme source d'infortune quand les fils d'Israël abandonnent le Seigneur et vont se prosterner devant d'autres dieux (cf. v. 11-12). Résultat : « Partout où ils allaient en campagne, la main du Seigneur était sur eux pour leur malheur (ra'a) » (v. 15). De même, bien plus tard, les prophètes expliqueront l'exil à Babylone par l'infidélité d'Israël à son Seigneur : « D'où vient, Israël, d'où vient que tu es au pays des ennemis, que tu vieillis sur une terre étrangère [...] ? Tu as abandonné la source de la Sagesse ! Si tu avais marché dans la voie de Dieu, tu habiterais en paix pour toujours » (Ba 3, 10.12). Quant à saint Paul, il écrit aux corinthiens que beaucoup de ceux qui avaient quitté la servitude égyptienne « n'ont fait que déplaire à Dieu, et sont tombés au désert » (1 Co 10, 5).
Cet aspect de la relation immédiate entre péché et malheur dont il est profitable de faire mémoire « pour nous empêcher de désirer le mal » (1 Co 10, 6), le Christ, Parole de Dieu en Personne, ne l'ignore bien sûr pas. Mais il sait aussi que le malheur qui s'abat sur un individu ou un groupe d'individus n'est pas toujours directement lié à un péché que celui-ci aurait commis, et il enseigne une telle vérité à diverses occasions. À ce propos, le Catéchisme des évêques de France mentionne particulièrement le texte de la guérison de l'aveugle-né au chapitre 9 de l'Évangile selon saint Jean (cf. CEF 174). Apercevant cet homme, les disciples en effet interrogent Jésus : « Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? » Et le Christ de répondre : « Ni lui n'a péché, ni ses parents... » (v. 2-3). Dans le passage de l'Évangile selon saint Luc que j'ai lu au début de cette vidéo, par deux fois il nous assure qu'il n'y a pas nécessairement un rapport direct entre le péché et les différentes formes de malheur, ce que nous sommes peut-être facilement enclins à penser pour nous-mêmes et pour les autres à l'instar des contemporains de Jésus... Pourtant, nous dit le Christ : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis. [...] Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien non, je vous le dis » (v. 2-5). Qui était mieux placé pour nous le dire que le parfait Innocent, l'Agneau de Dieu transpercé qui porte et emporte le péché du monde ? Cette doctrine n'était toutefois pas inconnue de l'Ancien Testament. Le livre de Job en est une démonstration éloquente. Le malheur qui frappe ce juste, heureux de par sa vie de foi intègre, sa bonne santé, sa famille unie, ses richesses faramineuses et son excellente réputation, a sa source non dans un péché personnel, mais dans une mystérieuse permission divine accordée au diable de le mettre à l'épreuve. Autre exemple, communautaire cette fois : le peuple d'Israël descendu en Égypte obéit admirablement au commandement de Dieu fait à l'origine du monde de fructifier, de se multiplier et de remplir la terre (cf. Gn 1, 28 ; Ex 1, 7). Néanmoins, la venue au pouvoir d'un nouveau pharaon va lui faire connaître une effroyable servitude tissée de mauvais traitements et de privations.
Ces quelques exemples bibliques nous montrent suffisamment que le malheur a différentes causes immédiates. Quand celui-ci nous frappe, nous cherchons, et c'est bien normal, à comprendre pourquoi il en est ainsi et comment y remédier. Pécheur ou innocent en l'occurrence, d'une certaine manière peu importe, même si, comme l'écrit l'Apôtre Pierre, « mieux vaut souffrir, si le veut la volonté de Dieu, en faisant le bien qu'en faisant le mal » (1 P 3, 17). Pécheur ou innocent, l'attitude spirituelle de fond à laquelle Jésus nous exhorte en toutes circonstances est celle de la conversion, car, dit-il, « si vous ne vous convertissez pas, vous périrez... » (Lc 13, 3.5). Si, sous l'action de la grâce, vous ne vous tournez pas vers Dieu, vous marcherez sur le chemin de la perdition, non sur celui de la vie éternelle. Cette conversion se fait soit, à l'instar du fils prodigue (cf. Lc 15), en remettant au Seigneur nos péchés pour qu'Il les pardonne, soit, avec le Christ, en offrant au Père notre amour et nos souffrances afin qu'Il les fasse concourir au salut du monde. Dans l'un et l'autre cas, nous donnerons le fruit de nos bonnes œuvres au Seigneur si patient, Lui que la misère humaine, quelle qu'en soit la cause, et malgré le sentiment que nous pouvons avoir d'être abandonnés, ne laisse jamais indifférent : « J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple [...]. Oui je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer [...] et le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile » (Ex 3, 7-8). Tout le mystère pascal est là.