LE SACREMENT DE LA CONFIRMATION
Un sacrement de l'adolescence ?
Depuis une quarantaine d'années, pour lui donner plus d'importance, on a souvent retardé l'âge du sacrement de la Confirmation. C'est ainsi qu'on en a fait le sacrement de l'adolescence, l'affirmation personnelle et volontaire de la foi chrétienne. Cette pratique se heurte néanmoins à plusieurs objections :
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Le rythme de la vie spirituelle n'est pas identique au rythme de la vie naturelle (physique et psychologique). Dire que la Confirmation est un sacrement de l'achèvement de l'initiation chrétienne – ce qui est vrai – ne signifie pas automatiquement que ce soit un sacrement d'adulte selon la vie naturelle.
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La tradition universelle de l’Église lie le Baptême à la Confirmation. Par conséquent, retarder la Confirmation risque de faire perdre ce lien.
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L'ordre des sacrements de l'initiation est : Baptême – Confirmation – Eucharistie. Le fait de différer la Confirmation ne respecte pas cet ordre.
Le signe rituel de la Confirmation
En ce qui concerne le signe rituel, la cérémonie de la Confirmation est extrêmement pauvre. À côté du déploiement symbolique important du Baptême et de l'Eucharistie, la Confirmation est célébrée avec des rites fort simples. Elle se résume à ceci :
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Imposition des mains du ministre sur tous les confirmands à la fois (ou successivement).
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Invocation solennelle à l'Esprit Saint (épiclèse).
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Onction du saint-chrême en forme de croix sur le front de chacun avec les paroles : « Sois marqué de l'Esprit Saint, le don de Dieu ».
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Baiser de paix du ministre au nouveau confirmé.
Le caractère et la grâce propre conférés par la Confirmation
Pour ce qui est du caractère conféré par la Confirmation, la tradition est fort embarrassée quand il s'agit de le préciser. Il est aisé de distinguer le caractère conféré par le Baptême (aptitude à participer au culte divin à la place de fidèle), du caractère conféré par le sacrement de l'Ordre (aptitude à participer au culte divin à la place de ministre). Mais quelle aptitude cultuelle est donnée par la Confirmation ?
En ce qui concerne la grâce propre de la Confirmation, il y a quelques bases fermes : le rapport très étroit entre le Baptême et la Confirmation d'une part, le rapport entre la Confirmation et le don de l'Esprit Saint (événement de la Pentecôte). Mais où est la spécificité de la Confirmation puisque l'Esprit Saint est déjà donné au Baptême ?
Le rite de la Confirmation
Les textes liturgiques anciens montrent l'union étroite du Baptême et de la Confirmation dans une seule cérémonie qui est celle de l'initiation chrétienne. Par exemple, la Tradition apostolique de S. Hippolyte de Rome († 235) décrit la triple immersion baptismale, puis elle note une première onction par un prêtre, suive du revêtement de l'habit blanc ». le nouveau baptisé entre alors dans l'église. Là l'évêque lui impose les mains en disant une prière qui demande à Dieu que celui qui a été rendu digne d'être baptisé « reçoive la grâce pour qu'il Te (Dieu) serve selon Ta volonté » ; ensuite l'évêque fait une seconde onction d'huile sur le front du baptisé. Les formules de la première onction et de la seconde sont très voisines, pour ne pas dire identiques. L'évêque achève en donnant le baiser de paix. Cette liturgie a lieu pendant la Vigile pascale, après la liturgie de la Parole ; elle se poursuit par la liturgie eucharistique.
Ce qui est frappant dans la liturgie décrite par S. Hippolyte, c'est l'intervention graduée des ministres. Au début, les rites d'exorcisme sont effectués par les exorcistes ; l'ablution baptismale est assurée par un diacre ; à la sortie du bain baptismal, c'est un prêtre qui fait la première onction ; enfin l'évêque intervient pour l'imposition des mains et la seconde onction. Le rite accompli par l'évêque manifeste l'achèvement de cette entrée dans le mystère ecclésial. Cela est tout à fait cohérent, l'évêque étant le chef de la communauté, c'est à lui qu'il revient d'agréger les nouveaux membres.
Il est donc clair que la Confirmation se présente à l'origine comme une partie intégrante d'un rite complet d'initiation et n'en est pas séparable. D'où est venue cette séparation ? On peut avancer plusieurs faits historiques :
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La multiplication du Baptême des enfants : la prise de conscience de la nécessité du Baptême pour le salut a conduit à baptiser les enfants dès la naissance, en raison de la forte mortalité infantile. On n'attendait donc pas la prochaine Vigile pascale.
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Le passage du christianisme de la ville à la campagne. L'évêque restant surtout un pasteur urbain, il ne peut plus présider tous les Baptêmes. De là, ont découlé différentes réactions. En Orient, on a renoncé à faire administrer le Baptême (et la Confirmation qui lui reste liée) par l'évêque ; le prêtre assure lui-même l'initiation des personnes qui lui sont confiées. En Occident, on a tenu à ce que l'évêque achève au moins le rite d'initiation. Comme il n'était pas possible de le faire dans la même liturgie que celle du Baptême, on a assisté à la séparation progressive du Baptême et de la Confirmation.
La Confirmation comme achèvement du Baptême
Le don de l'Esprit attaché au Baptême et le don de l'Esprit attaché à la Confirmation ne sont pas deux dons distincts, mais le don de la Confirmation est la plénitude du don du Baptême. C'est la plénitude de la grâce baptismale qui est donnée à la Confirmation. La Confirmation n'est pas séparable du Baptême. Ce n'est pas une grâce entièrement nouvelle qui serait donnée à la Confirmation, mais l'achèvement de la grâce baptismale, en insistant sur le côté positif de celle-ci : communication de l'Esprit Saint, participation à la triple onction du Christ prêtre, prophète et roi. Ce sont là des réalités qui sont mieux signifiées par l'onction que par l'ablution.
Ce qui distingue le Baptême de la Confirmation consiste en deux rites (ablution et onction) étroitement connexes, tous deux communicateurs de la grâce (sinon il n'y aurait pas sacrement au sens propre), mais intimement liés : la Confirmation est la plénitude et l'achèvement du Baptême.
Le Sacrement de la Confirmation selon S. Thomas d'Aquin
S. Thomas d'Aquin caractérise la Confirmation comme le sacrement de l'âge parfait, de l'accession à l'âge adulte chrétien, comme l'achèvement de la croissance du Baptême :
Les choses sensibles et corporelles étant à l'image des réalités intelligibles et spirituelles, nous pouvons percevoir, à partir des réalités de la vie corporelle, les réalités de la vie spirituelle. Or il est manifeste que dans la vie corporelle il y a une certaine perfection particulière quand l'homme parvient à l'âge adulte et devient ainsi capable d'en accomplir les actes. C'est pourquoi l'Apôtre dit : « Quand je suis devenu homme, j'ai abandonné ce qui appartenait à l'enfance » (1 Co 13, 11). De là on voit aussi que, en plus du mouvement de la génération qui donne la vie corporelle, il y a le mouvement de la croissance par lequel on est conduit à l'âge parfait. Ainsi donc l'homme reçoit la vie spirituelle par le Baptême, qui est une génération spirituelle, et dans la Confirmation, il reçoit comme un âge parfait de la vie spirituelle » (Somme de théologie, IIIa, q. 72, a. 1).
Une comparaison avec la vie naturelle est éclairante : la nature humaine est totalement constituée dans l'embryon, mais elle a encore beaucoup plus de potentialité que d'acte. Ce sont deux choses distinctes que de donner l'être et de donner la croissance de l'être. Le Baptême donne l'être chrétien, la Confirmation donne la croissance de l'être chrétien. Il faut préciser cependant qu'il n'en va pas de la croissance surnaturelle comme de la croissance physique. La croissance sacramentelle de la vie divine communiquée ne comporte pas de soi de délais aussi stricts que pour la vie naturelle.
Renvoyer à plusieurs années l'achèvement de l'initiation laisse le baptisé à l'état d'embryon spirituel. Avant Vatican II, un usage fréquent était de confirmer les enfants vers l'âge de 6 ou 7 ans, et de les admettre ensuite à l'Eucharistie. C'est encore l'indication de la tradition que donne le Catéchisme de l’Église catholique : « La tradition latine donne l'âge de la discrétion comme point de référence pour recevoir la Confirmation. En danger de mort, on doit cependant confirmer les enfants même s'ils n'ont pas encore atteint l'âge de la discrétion » (n° 1307). La Conférence épiscopale française, elle, recommande de célébrer la Confirmation entre 12 et 16 ans.
Le caractère de la Confirmation
Il est clairement attesté par la Tradition que la Confirmation, en raison même de son lien étroit avec le Baptême, n'est jamais réitérable. En effet, elle imprime dans l'âme un caractère inamissible. Mais la nature de ce caractère est difficile à saisir.
Pour le Baptême et pour l'Ordre, les caractères sont définis comme des députations cultuelles liturgiques (cf. Lumen gentium 11 pour le Baptême ; 21, 28 et 29 pour l'Ordre). On pourrait penser que le caractère de la Confirmation aurait la même définition. Mais l'explicitation théologique, assumée par le Magistère, est différente. Elle ne repose nullement sur l'idée de députation cultuelle liturgique, mais sur l'idée d'habilitation au témoignage de la foi, ce qui n'est pas une habilitation cul-tuelle au même sens que pour le Baptême et l'Ordre (le caractère baptismal habilite à recevoir les sacrements, celui de l'Ordre à les donner). C'est une habilitation cultuelle non liturgique (vie chrétienne comme culte agréable à Dieu, cf. Rm 12, 1). Voici la formulation du CEC : « Le "caractère" [de la Confirmation] perfectionne le sacerdoce commun des fidèles, reçu dans le Baptême, et "le confirmé reçoit la puissance de confesser la foi du Christ publiquement, et comme en vertu d'une charge (quasi ex officio)" (S. Thomas d'A., III 72,5, ad 2) »(n° 1305).
Conclusion
Citons, par mode de résumé, le développement du CEC sur la grâce propre de la Confirmation :
Il ressort de la célébration que l'effet du sacrement de Confirmation est l'effusion plénière de l'Esprit Saint, comme elle fut accordée jadis aux Apôtres au jour de la Pentecôte.
De ce fait, la Confirmation apporte croissance et approfondisse-ment de la grâce baptismale :
- elle nous enracine plus profondément dans la filiation divine qui nous fait dire Abba, Père (Rm 8,15);
- elle nous unit plus fermement au Christ;
- elle augmente en nous les dons de l'Esprit Saint;
- elle rend notre lien avec l’Église plus parfait (cf. LG 11);
- elle nous accorde une force spéciale de l'Esprit-Saint pour répandre et défendre la foi par la parole et par l'action en vrais témoins du Christ, pour confesser vaillamment le nom du Christ et pour ne jamais éprouver de la honte à l'égard de la Croix. (n° 1302-1303)
Cette énumération est comme une synthèse des divers enseignements assumés par le Magistère, mais le simple fait de l'usage de métaphores (elle « enracine »...) ou d'expression peu explicite (elle « unit plus fermement », « lien plus parfait »...), montre bien qu'on recherche encore une présentation vraiment formelle de la grâce propre de la Confirmation. Cela explique les grandes divergences rituelles selon les familles liturgiques.
On peut retenir que la Confirmation produit en nous – toute proportion gardée – ce que la Pentecôte produisit sur les Douze apôtres. La vie de foi, d'espérance et de charité des apôtres était bien réelle et fervente après l'Ascension. Mais ils étaient confinés au cénacle (Ac 1, 14). Ils étaient privés de la présence sensible du Seigneur et comme impuissants devant l'immense tâche apostolique qui les attendait. Ils n'étaient pas encore entrés dans la pleine possession de cette « Force d'en haut » promise par Jésus et, par conséquent, étaient comme privés de tout mouvement apostolique.
De timides et craintifs qu'ils étaient, les apôtres devinrent fermes et audacieux dans la prédication. On le voit bien aux discours de Pierre après la Pentecôte (Ac 2, 22s. et 3, 14s.) : ce n'est plus celui qui a eu peur la nuit de la Passion, mais le porte-parole décidé et rayonnant.
L'envoi de l'Esprit augmenta aussi dans les apôtres leur résistance à toute épreuve. Dès le début de leur prédication, ils rencontrent l'opposition et la persécution (Ac 5, 41s.). Loin d'en être abattus, ils sont joyeux d'avoir à souffrir pour le Nom et continuent leur ministère.
Enfin, le don de l'Esprit de Pentecôte a beaucoup augmenté la charité dans les apôtres au point que l'amour de Dieu et des hommes fut le motif et l'objet constant de leur zèle. Cette charité a atteint son sommet dans leur mort comme martyrs.
D'une certaine façon, le baptisé, avant d'être confirmé, est dans la situation des apôtres au cénacle. Déjà vivant de la vie de la grâce, il leur manquait tous les progrès de cette vie qui visent à en faire l'expression claire, constante et féconde de la foi, de l'espérance et de la charité.