DÉFINITION ET TYPOLOGIE DES VERTUS ET DES VICES ACQUIS
INTRODUCTION
Créé à l'image de Dieu, c'est-à-dire doué d'intelligence, de volonté et de libre-arbitre, l'Homme est comme « le père de ses actes » (CEC 1749). Par eux, dans ce qu'ils ont de spécifiquement humains, il s'avance vers la Béatitude divine à laquelle le convie son Créateur s'ils sont bons, ou s'en détourne s'ils sont mauvais. Aux principes de ces actes, se trouvent respectivement des habitus bons, les vertus (acquises et infuses), et des habitus mauvais, les vices (acquis seulement). Dans le présent exposé, nous donnerons tout d'abord une définition et une typologie de l'habitus, puis de la vertu acquise, et enfin du vice.
DÉFINITION ET TYPOLOGIE DE L'HABITUS
Nous nous inspirons ici de l'étude de l'habitus telle qu'elle apparaît dans la Somme de théologie (Ia IIae, q. 49-54). À la suite d'Aristote, saint Thomas d'Aquin définit l'habitus comme « une disposition suivant laquelle un être est bien ou mal disposé, ou par rapport à soi ou à l'égard d'autre chose » (q. 49, a. 1). Puis il distingue deux genres d'habitus (Cf. q. 49, a. 2-3) :
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L'habitus entitatif, qui qualifie l'être d'un sujet. Dans l'ordre naturel, les dispositions corporelles comme la santé et la beauté entrent dans ce genre (Cf. q. 50, a. 1). Dans l'ordre surnaturel, la grâce relève de cette catégorie en tant qu'elle a son siège dans l'essence de l'âme (Cf. q. 50, a. 2 et q. 110, a. 4).
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L'habitus opératif, qui qualifie une puissance rationnelle (intelligence et volonté) ou sensible (sens internes[1], appétits concupiscible et irascible) de l'agir humain. Vertus et vices ressortissent à ce genre.
Parmi les habitus opératifs, certains sont naturels (Cf. q. 63, a. 1) : l'intelligence des premiers principes qui relève de l'intellect spéculatif (Cf. q. 63, a. 2, ad 3), la syndérèse ou intelligence des premiers préceptes de la loi naturelle qui ressortit à l'intellect pratique (Cf. Ia, q. 79, a. 12) ; d'autres sont infus par Dieu dans l'âme : les vertus théologales[2] (Cf. CEC 1813) ; d'autres encore sont acquis : ils sont causés par des actes humains (Cf. q. 51, a. 2) et croissent par leur répétition (Cf. q. 52), mais peuvent aussi diminuer ou disparaître par la répétition d’actes contraires à l’habitus acquis (Cf. q. 53). On distingue parmi eux (Cf. q. 54, a. 3) :
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Les habitus bons, qui disposent l’agent à agir selon sa nature, selon la raison droite et selon une fin convenable ; ce sont les vertus.
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Les habitus mauvais, qui disposent l’agent à agir contre sa nature, contre la raison droite et contre une fin convenable ; ce sont les vices.
DÉFINITION ET TYPOLOGIE DE LA VERTU ACQUISE
Saint Thomas définit la vertu acquise comme une perfection d'une puissance de l'âme (Cf. Ia IIae, q. 55, a. 1) qui dispose l'agent à agir (Cf. q. 55, a. 2) selon la nature humaine avec promptitude, facilité et joie (Cf. q. 59, a. 5), et qui rend bons l'agent et son action (Cf. q. 55, a. 3). Il existe deux types de vertus acquises : les vertus intellectuelles et les vertus morales qui se distinguent de par les puissances qu'elles qualifient et perfectionnent.
Les vertus intellectuelles (Ia IIae, q. 57)
Elles perfectionnent la puissance cognitive rationnelle, autrement dit l'intelligence, et sont ordonnées au vrai. Mais elles ne recouvrent pas entièrement la notion de vertu, car si par elles l'agent acquiert une capacité pour bien faire, il n'en est pas rendu bon en lui-même pour autant et peut mal en user. C'est pourquoi on les appelle « vertus » en un sens relatif (Cf. q. 56, a. 3)[3]. Elles se distinguent selon qu'elles qualifient l'intellect spéculatif ou l'intellect pratique :
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Vertus de l'intellect spéculatif : elles sont au nombre de trois : la simple intelligence (vertu naturelle des premiers principes), la science et la sagesse (Cf. q. 57, a. 2).
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Vertus de l'intellect pratique : de même elles sont trois : la syndérèse (vertu naturelle des premiers préceptes de la loi naturelle), l'art ou « droite règle des choses à fabriquer » (a. 3-4), et la prudence ou « droite règle de l'action » (a. 4 à 6) dont le statut est particulier parce qu'en tant que sagesse pratique elle ne peut exister sans la vertu morale (Cf. q. 58, a. 5). La prudence est à la charnière des vertus intellectuelles et des vertus morales.
Les vertus morales (Ia IIae, q. 59-60)
Elles perfectionnent une puissance appétitive rationnelle ou sensible, c'est-à-dire la volonté, l'appétit concupiscible ou l'appétit irascible, et sont ordonnées au bien. A la différence des vertus intellectuelles, elles recouvrent absolument la notion de vertu car si elles disposent à bien agir, elles rendent aussi bons et l'agent et son action. D'autre part, elles ont affaire avec les passions qu’elles ordonnent et régulent (Cf. q. 59) et ne peuvent exister sans la syndérèse, ni sans la prudence (Cf. q. 58, a. 4). En effet, puisque leur œuvre propre est d’orienter l’appétit vers un bien conforme à la raison, elles ont besoin de la prudence, laquelle présuppose la syndérèse, pour prendre correctement les moyens qui conduisent à ce bien, et pour atteindre en chaque circonstance le juste milieu qui les caractérise (Cf. q. 64 et q. 66, a. 3, ad 3). Saint Thomas distingue les vertus morales selon qu’elles concernent les opérations ou les passions (q. 60, a. 2) :
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Les vertus morales qui concernent les opérations : elles ajustent les actes par rapport au droit d’autrui et ont leur siège dans l'appétit intellectuel, la volonté. La vertu de justice en est le type générique (Cf. q. 60, a. 3).
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Les vertus morales qui concernent les passions : elles ajustent les actes par rapport à soi-même et ont leur siège selon les passions qu'elles régulent, c'est-à-dire soit dans l'appétit irascible, soit dans l'appétit concupiscible (Cf. q. 60, a. 4). Les vertus de force et de tempérance en sont respectivement le type générique. Avec les vertus de prudence et de justice, elles composent le groupe des vertus dites cardinales.
Les quatre vertus cardinales (Ia IIae, q. 61)
Les vertus de prudence, justice, tempérance et force sont appelées « cardinales » du latin cardo qui signifie « gond », parce que nombre d'autres vertus pivotent autour d'elles. Ces quatre vertus correspondent aux quatre grandes puissances dont dépend la vie morale de la personne (Cf. a. 2) :
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À l'intelligence correspond la prudence qui dispose la raison pratique à discerner le véritable bien en toute circonstance et à choisir les justes moyens de l'accomplir. Elle est dite auriga virtutum car c'est elle qui conduit les autres vertus en leur indiquant règle et mesure (Cf. CEC n° 1806).
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À l'appétit intellectuel ou volonté correspond la justice par laquelle est rendu à chacun ce qui lui est dû et de laquelle découlent par exemple la vertu de religion (par laquelle est rendu ce qui est dû à Dieu), la vertu de piété filiale (par laquelle est rendu ce qui est dû aux parents et à la patrie), la vertu de gratitude (envers les bienfaiteurs) (Cf. q. 60, a. 3).
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À l'appétit irascible correspond la force par laquelle sont supportées ou repoussées les difficultés de la vie morale afin de poursuivre le bien avec constance. D'elle dépendent par exemple les vertus de magnanimité (qui établit la mesure de la raison dans les grands honneurs), de magnificence (pour les œuvres grandes à produire), de patience (face aux maux de tous genres) et de persévérance (dans les œuvres difficiles et de longue durée).
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À l'appétit concupiscible correspond la tempérance qui modère l'attrait des plaisirs et use raisonnablement des biens créés. Lui sont rattachées par exemple les vertus de pudeur (qui regarde la honte du vice), d'abstinence (qui modère l'attrait pour la nourriture), de sobriété (qui modère l'attrait pour les boissons, spécialement les enivrantes), de chasteté (qui modère les convoitises en matière sexuelle), et de virginité (par laquelle on s'abstient pour toujours des voluptés sexuelles).
DÉFINITION ET TYPOLOGIE DU VICE
Le vice, avons-nous dit ci-dessus, est un habitus opératif mauvais qui disposent l’agent à agir contre sa nature, contre la raison droite et contre une fin convenable. En ce sens, il s'oppose directement à la vertu. Mais comme elle, il naît par la répétition des mêmes actes, en l'occurrence des actes humains mauvais : les péchés. Bien que le vice soit toujours acquis et jamais infus par Dieu, il peut s'opposer à une vertu théologale infuse.
Quant à leur classification, les vices peuvent être rangés d'après les vertus (théologales, intellectuelles, morales) qu'ils contrarient soit par excès, soit par défaut (beaucoup de vices s'opposent à une seule vertu) ou encore rattachés aux sept péchés capitaux dégagés par la Tradition (Cf. CEC 1866) : l'orgueil, l'avarice, l'envie, la colère, la luxure, la gourmandise, la paresse. Nous ne donnerons ici qu'un bref aperçu des vices opposés aux vertus théologales et aux vertus cardinales en nous inspirant de l'analyse de saint Thomas d'Aquin dans la IIa IIae de sa Somme de théologie où l'Aquinate tient souvent pour synonymes les termes « vice » et « péché. »
Les vices opposés aux vertus théologales
Ils se distinguent selon qu'ils contrarient la foi, l'espérance ou la charité :
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Les vices opposés à la foi : l'infidélité qui est un refus volontaire de prêter l'oreille à cette foi ; l'hérésie qui est une espèce de l'infidélité en ce qu'elle corrompt les dogmes chrétiens ; l'apostasie, qui est un éloignement, un rejet de la foi.
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Les vices opposés à l'espérance : le désespoir qui doute de la miséricorde et du pardon divins ; la présomption qui pense obtenir la gloire éternelle sans mérites et le pardon sans pénitence.
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Les principaux vices opposés à la charité : la haine qui est une aversion volontaire directe de Dieu et/ou du prochain et/ou de soi-même ; l'acédie qui s'attriste du bien divin ; l'envie qui s'attriste du bien d'autrui ; le schisme qui est consiste à se séparer de l'unité de l'Église.
Les vices opposés aux vertus cardinales
Ils se distinguent par opposition à la prudence, la justice, la force ou la tempérance :
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Les principaux vices opposés à la prudence :
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L'imprudence qui s'oppose à la prudence dans les actes de délibération, de jugement et d’exécution. Pour un manque de délibération, on parlera de précipitation ou témérité. Pour un manque de jugement, d’inapplication, et pour un refus d’exécution, d’inconstance et de négligence.
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La ruse qui utilise des moyens pervers afin de parvenir à une fin bonne ou mauvaise.
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Les principaux vices opposés à la justice : l'injustice qui consiste à ne pas rendre à autrui ce qui lui est dû ; l'injustice illégale qui est un mépris du bien commun ; l'acception des personnes qui s'oppose à la justice distributive en ce qu'elle ne rend pas à chacun selon ses mérites.
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Les principaux vices opposés à la force : la crainte qui consiste à fuir devant un mal qu'il faut supporter pour continuer de poursuivre un bien ; l'intrépidité qui est un manque de crainte face à ce qui doit être redouté ; l'audace qui est un excès de la passion du même nom.
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Les principaux vices opposés à la tempérance : l'insensibilité qui est un mépris des plaisirs liés à la conservation de l'individu ou de l'espèce ; l'intempérance qui est un abus de ces mêmes plaisirs recherchés alors comme une fin en soi.
CONCLUSION
Vertus et vices acquis sont au principe des actes humains. Tous s'acquièrent respectivement par la répétition des mêmes actes et qualifient une des puissances de l'âme. Il est cependant entre eux une différence capitale dont nous n'avons pas encore parlé. Alors que les vertus sont connexes entre elles (Cf. Ia IIae, q. 65), autrement dit qu'elles ne peuvent exister les unes sans les autres parce que leur intention tend à la même fin, les vices ne sont nullement liés les uns aux autres parce qu'ils se portent vers des biens divers sans aucune connexion entre eux, même parfois contraires les uns aux autres (Cf. Ia IIae, q. 73, a. 1). Les vertus unifient la vie intérieure, les vices la brise.
BIBLIOGRAPHIE
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Catéchisme de l'Église catholique, n° 1803-1829.
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LABOURDETTE M. :
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Les principes des actes humains (Ia-IIae, q. 49-70), « Habitus-vertus », Cours de théologie morale, fasc. n° 3, Toulouse.
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Des vices et des péchés (Ia-IIae, q. 71-89), Cours de théologie morale, fasc. n° 4, Toulouse, 1958-1959.
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ST THOMAS D'AQUIN, Somme de Théologie, Cerf, 1984 :
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Les habitus et les vertus, Ia IIae, Questions 49-67.
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Les vices et les péchés, Ia IIae, Questions 71-89.
[1] Cf. q. 50, a. 3, ad. 3 et q. 56, a. 5.
[2] Saint Thomas tient qu'il y a aussi des vertus intellectuelle et morales infuses (Cf. Ia IIae, q. 63, a. 3-4 ; q. 65, a. 2). Cette doctrine n'a été ni reprise, ni infirmée par le Catéchisme de l'Église catholique. Elle relève donc encore de l'opinion théologique.
[3] Cette remarque ne s'applique pas toutefois à la prudence qui est une vertu au sens plein.